Une orientation forte du Conseil international des archives

Le Conseil international des archives, à l’origine des différentes normes archivistiques, soulève les problèmes que ces normes posent. On se reportera, par exemple, à l’article Une évolution dans les pratiques descriptives – Vers un modèle conceptuel archivistique ? cosigné par Claire Sibille de Grimoüard, et daté de 2012 [1]. On peut y lire, entre autres:

Les quatre normes, élaborées à des dates différentes, présentent en effet de nombreuses incohérences quant à la terminologie utilisée dans les glossaires… (p. 2) Par ailleurs, les institutions de conservation concernées par la norme ISDIAH et les entités décrites dans ISAAR ont de nombreux éléments de description communs. (p. 2) La principale difficulté d’application des quatre normes reste celle de leur articulation, d’autant plus que toutes ne comprennent pas de chapitre sur les relations avec d’autres entités archivistiques. En outre, leur mise en œuvre conjointe peut rendre certains éléments moins utiles… (p. 3) L’ICA envisage donc une révision substantielle des quatre normes internationales de description pour le prochain mandat quadriennal. Toutefois, identifier les éléments de description ne suffit pas. Il s’agit de créer un véritable réseau de relations entre les différents types d’entités archivistiques, d’où un projet d’élaboration de modèle conceptuel archivistique. (p. 3)

Sur le site du Conseil international des archives, on trouvera le Rapport d’étape pour la révision et l’harmonisation des normes de description de l’ICA qui donne des indications précises sur les évolutions prévues [2]. Ce document se termine également par une partie intitulée Développer un modèle conceptuel archivistique plus cohérent. Le Groupe d’experts sur la description archivistique (EGAD) de l’ICA s’est engagé dans l’élaboration d’un modèle conceptuel :

Pour le mandat 2012-2016, l’EGAD aura pour mission d’élaborer un « modèle conceptuel » pour la description archivistique, afin de traiter l’interrelation des composants de la description dans un système de description archivistique et de permettre la mise en relation de la description archivistique avec les normes de description associées du patrimoine culturel. [3]

On trouvera, sur le site de l’ICA, un texte [4] sur son projet de modèle conceptuel qui nous semble très important et dont nous recommandons donc la lecture.

Pourquoi un modèle conceptuel ?

Le premier article cité [1] présente rapidement ce qui est attendu des modèles conceptuels :

Ils s’appuient sur des méthodes formelles d’identification et d’interrelation des composantes de la description (archives, producteurs/détenteurs, fonctions des producteurs). Les partisans de la modélisation conceptuelle envisagent l’utilisation des données de description comme support aux applications du Web sémantique. Ils considèrent également les modèles conceptuels comme un moyen d’accéder à l’ensemble des ressources du patrimoine culturel. Il s’agit de mieux répondre aux attentes des utilisateurs en leur offrant un accès homogène aux différentes ressources patrimoniales, qu’elles soient archivistiques, bibliographiques ou muséales.

L’extrait ci-dessus présente, sans les développer, trois concepts qui nous semblent essentiels :

  • Le modèle entité-association (ou entité-relation), sur lequel nous reviendrons : « des méthodes formelles identification et d’interrelation des composantes de la description ».
  • La notion de « données de description comme support aux applications du Web sémantique ». Nous avons déjà abordé la question essentielle de la dualité données-documents qui est au cœur de la problématique du traitement informatique de la description archivistique. Et, par web sémantique, il faut entendre en particulier cette possibilité d’un traitement automatique des données descriptives.
  • La possibilité offerte aux utilisateurs « d’accéder à l’ensemble des ressources du patrimoine culturel […] qu’elles soient archivistiques, bibliographiques ou muséales ».

Un vaste programme, donc !

Quelques précisions sur le vocabulaire employé

Entité, classe

Le terme entité recouvre des objets très larges. Étymologiquement, une entité est « quelque chose qui existe ». Tout est donc entité. Dans le cas qui nous intéresse, un document ou un ensemble de documents d’archives (on dira aussi une ressource archivistique), une personne – producteur, archiviste… – un lieu, un concept philosophique… sont des entités. Un ensemble d’entités de même nature constitue une classe. Nous nous intéresserons donc à la classe des ressources archivistiques, à la classe des personnes (qui peuvent produire, gérer, utiliser, être sujet… des ressources archivistiques), des lieux, évènements, objets (qui peuvent être sujets des ressources archivistiques)…

Attribut

Une entité est caractérisée par un ensemble d’attributs. Ces attributs s’appliquent à l’ensemble des entités d’une même classe. Pour une ressource archivistique, sa cote, son intitulé, ses dates extrêmes, son importance matérielle… sont des attributs. Les attributs correspondent aux éléments de description de la norme ISAD(G) ou de la DTD EAD. Ils constituent les métadonnées descriptives des entités. Ils permettent de distinguer une entité d’une autre.

Relation ou association

Les entités entretiennent entre elles des relations.

  • Des relations entre entités de classes différentes. Une ressource archivistique a pour producteur telle personne ; pour gestionnaire, telle autre ; pour sujet, tel lieu…
  • Des relations entre entités d’une même classe. Telle personne a tel lien de parenté avec telle autre… Telle ressource archivistique (une série organique) et une partie d’une autre (un fonds)…

Les relations sont gérées de manière insuffisante par le format EAD actuel et, plus généralement, par le langage XML.

Modèle conceptuel

Au fait, qu’est-ce qu’un modèle conceptuel ? Si l’on recherche modèle conceptuel sur son moteur de recherche commercial préféré, on va trouver principalement des références sur le « modèle conceptuel de données » qui est un outil utilisé en informatique pour représenter la structure d’un système d’information du point de vue des données, ainsi que les relations entre ces différentes données. On va retrouver les notions d’entités, de relations entre entités et de propriétés, équivalentes aux attributs ci-dessus. Mais notre propos, ici, n’est pas de construire une de base de données. Nous nous situons dans le domaine de la formalisation des connaissances et non dans celui du traitement informatique. On pourra relire les textes de Thomas Francart sur le présent blog. On pourrait définir un modèle conceptuel comme une représentation (qui peut combiner graphisme et texte) d’un ensemble d’entités concernant un domaine, des attributs de ces entités et des relations qu’elles entretiennent.

Petite parenthèse sur les modèles informatiques

Ici, il n’est pas question d’entrer dans les détails, nous faisons néanmoins un petit détour par les modèles informatiques. On pourra, si on veut en savoir plus, consulter, par exemple, les cours de Serge Abiteboul au Collège de France [4]. On distingue trois grands modèles informatiques pour le traitement de données.

Le modèle relationnel

Depuis les années 1960, les grandes sociétés comme IBM se sont préoccupées de la gestion de grandes quantités de données, non plus dans des fichiers, mais dans des bases de données (système de gestion de bases de données, SGBD). C’est à partir de 1970 qu’Edgar Frank Codd a défini le modèle relationnel, qui s’appuie sur l’algèbre relationnelle. Ce modèle est associé au langage de requête SQL (Structured Query Language, langage de requête structuré). Avec bientôt 50 ans d’existence, s’appuyant sur des sociétés de très grosses tailles, résultant de siècles-hommes de développement, de sécurisation et d’optimisation, les systèmes de gestion de bases de données relationnelles (SGBDR) restent très largement les plus employés pour le stockage, le traitement et l’accès des données, les plus fiables et les plus performants. Les SGBDR permettent la gestion de toutes sortes de données numériques : textes et nombres, bien entendu, mais aussi images, sons, fichiers XML et… bases de données. Ils continuent à évoluer et à se perfectionner. Il s’agit du modèle le plus complexe, le plus difficile à représenter simplement, à présenter et à maîtriser. Il permet de gérer aussi bien des relations hiérarchiques de type arbre que des relations de type graphe (cf. ci-dessous). Ce modèle est résolument orienté données.

Le modèle arbre de données

Le modèle hiérarchique a précédé le modèle relationnel avec les bases de données hiérarchiques. Il est revenu sur le devant de la scène comme concurrent et, pour certains, successeur potentiel du modèle relationnel. Il s’appuie sur le langage XML (Extensible Markup Language, langage de balisage extensible) et permet une organisation hiérarchique des données sous forme d’arbre. Arbre_donnees Des langages de requête comme XPath et XQuery sont associés à XML. Les fichiers XML peuvent être stockés dans un simple système de fichiers, dans un système de gestion de bases de données relationnelles (Oracle Database, par exemple) ou dans un système de gestion de bases de données XML (eXist, par exemple). On part toujours d’une « racine » (r dans le schéma ci-dessus) et on peut représenter ses « descendants ». L’arbre n’est limité ni en largeur (on peut avoir autant d’enfants de « r » que l’on veut), ni en profondeur (on peut avoir autant de niveaux de descendants que l’on veut). Mais, le modèle arbre présente des limites. Il ne permet pas de représenter tous les types de relations, mais seulement un type très particulier. Si l’on prend le schéma ci-dessus, le modèle n’offre pas la possibilité de représenter de relation directe entre les nœuds « d » et « e », par exemple. Ce modèle est totalement orienté document. On peut en effet baliser les documents traditionnels, les plus irréguliers (les moins structurés). Comme archivistes, nous sommes habitués à ce modèle qui permet de représenter une généalogie, mais aussi, et surtout, qui est parfaitement adapté à nos instruments de recherche structurés. Il n’est donc pas étonnant que le langage XML soit utilisé comme format pour l’exploitation de ces instruments de recherche. Il ne permet pas, en revanche, de représenter de manière satisfaisante les relations transversales existant entre entités de classes différentes et c’est là une limite très importante par rapport aux évolutions en cours de la pratique archivistique : voir, dans le document [4], page 10, la notion d’approche « multi-entités » de la description archivistique versus l’actuelle approche « entité unique ».

Le modèle graphe de données

Il permet de représenter tout type de relations entre des entités. Il s’appuie sur le modèle RDF (Resource Description Framework). Ce modèle est associé au langage de requête SPARQL (SPARQL Protocol and RDF Query Language). Le principe est très simple : sujet-prédicat-objet (on parle de triplets ou triples) :

Triplet

Triplets

Mais, on peut établir une somme de relations très complexes comme dans l’exemple ci-dessous (http://lod-cloud.net/ ) :

Organisation hiérarchique des données sous forme d'arbre

Organisation hiérarchique des données sous forme d’arbre

Le document [4] déjà cité souligne, en page 10, les possibilités du RDF par rapport au XML :

Tandis que XML prend en charge une forme spécifique de graphes, la hiérarchie (ou l’arbre), les triples permettent une représentation illimitée de réseaux d’objets de données et d’objets du monde interconnectés (représentés par des données). Étant donné que le monde réel dans lequel nous vivons et travaillons peut être compris comme un vaste réseau, inter-relié dynamiquement, de personnes et d’objets situés dans l’espace et le temps, les technologies de graphes offrent de nouvelles formes de représentation plus expressives.

Ce modèle est particulièrement bien adapté pour les relations :

  • Entre ressources archivistiques : est partie de ; a pour source complémentaire ; a pour reproduction…
  • Entre entités de contexte : né à ; fils de ; employé par…
  • Entre ressources archivistiques et entités de contexte : a pour producteur ; a pour gestionnaire ; a pour sujet.

Il permet également de représenter les attributs :

  • Pour une ressources archivistique : a pour identifiant ; a pour intitulé ; a pour dates extrêmes…
  • Pour une personne : a pour genre ; a pour numéro de sécurité sociale ; a pour date de naissance…

L’exemple des bibliothèques

Dès les années 1990, les bibliothécaires ont réfléchi sur leurs méthodes de catalogage, donc de description des ressources bibliographiques, sur la structure et les relations des notices bibliographiques et des notices d’autorité. Ces travaux ont abouti au modèle FRBF : Functional Requirements for Bibliographic Records, en français Fonctionnalités requises des notices bibliographiques [6]. Ce besoin de réflexion était dû à un manque de précision sur les entités décrites. On reprend ici un exemple extrait d’un article accessible en ligne [6.3]. Qu’est-ce qu’un livre ?

  • Il peut s’agir d’un objet matériel en particulier, constitué de feuilles de papier et d’une reliure (et qui peut, occasionnellement, servir à caler un vidéoprojecteur !). Le modèle FRBR appelle cet exemplaire précis un item.
  • Lorsque nous entrons dans une librairie pour acheter un livre, si une pile est exposée, nous ne cherchons pas un exemplaire particulier, nous voulons seulement qu’il soit complet et en bon état. Le modèle FRBR appelle cela une manifestation.
  • Quand nous disons « Qui a traduit ce livre ? », nous pouvons faire référence à un texte précis et à une langue en particulier. Le modèle FRBR appelle cela une expression.
  • Quand nous disons « Qui a écrit ce livre ? », nous renvoyons à un niveau d’abstraction plus élevé, au contenu conceptuel qui sous-tend toutes les versions linguistiques, l’histoire racontée dans le livre, les idées qu’une personne a eues en tête pour créer le livre. Le modèle FRBR appelle ceci une œuvre.

Les entités de groupe 1

Œuvre, expression, manifestation et item constituent les entités de groupe 1 du modèle FRBR. Les schémas qui suivent sont extraits de Fonctionnalités requises des notices bibliographiques : rapport final / Groupe de travail IFLA sur les Fonctionnalités requises des notices bibliographiques. 2e édition française établie par la Bibliothèque nationale de France, 2012 [6.1]. entites1 Les pratiques de catalogage ont en effet évolué. Il y a quelques décennies, chaque bibliothèque gérait et cataloguait des exemplaires (items). Ensuite, avec le développement du catalogage partagé, les notices catalographiques correspondaient à des manifestations. La numérisation des ouvrages et la diffusion de ces versions numérisées ont représenté une nouvelle étape. Dans tous les cas, la multiplication des traductions et des éditions différentes… nécessitait une vision globale de l’ensemble de ces entités.

Les entités du groupe 2

Nous reproduisons ci-dessous un extrait du document FRBR cité :

Les entités du deuxième groupe (encadrées d’un trait gras dans la figure 3.2) représentent les personnes physiques ou morales qui ont la responsabilité du contenu intellectuel ou artistique, de la production matérielle et de la distribution, ou de la gestion juridique des entités du premier groupe. Les entités du deuxième groupe comprennent les personnes (les individus) et les collectivités (organismes ou groupes d’individus et/ou de collectivités). Le schéma met en évidence les relations de « responsabilité » qui existent entre les entités du deuxième groupe et les entités du premier groupe. Il montre qu’une œuvre peut émaner d’une ou plus d’une personne et/ou d’une ou plus d’une collectivité. À l’inverse, une personne ou une collectivité peut être à l’origine d’une ou plus d’une œuvre. Une expression peut être réalisée par une ou plus d’une personne et/ou collectivité ; et une personne ou une collectivité peut réaliser une ou plus d’une expression. Une manifestation peut être produite par une ou plus d’une personne ou une ou plus d’une collectivité ; une personne ou une collectivité peut produire une ou plus d’une manifestation. Un item peut appartenir à une ou plus d’une personne et/ou une ou plus d’une collectivité ; une personne ou une collectivité peut posséder un ou plus d’un item.

entites2 Notons d’ailleurs que, par la suite, les bibliothécaires ont pris également en compte une entité supplémentaire : famille.

Les entités du groupe 3

Nous reproduisons encore un extrait du modèle FRBR :

Les entités du troisième groupe (encadrées d’un trait gras dans la figure 3.3) représentent un nouvel ensemble d’entités qui constituent les sujets d’œuvres. Ce groupe comporte les entités suivantes : concept (une notion ou une idée abstraite), objet (une réalité matérielle), événement (une action ou un fait), et lieu (des données topographiques). Le diagramme met en évidence les relations « de sujet » qui existent entre les entités du troisième groupe et l’entité œuvre du premier groupe. Il montre qu’une œuvre peut avoir pour sujet un ou plus d’un concept, objet, événement et/ou lieu. Inversement, un concept, un objet, un événement et/ou un lieu peuvent être le sujet d’une ou plus d’une œuvre. Il montre également les relations « de sujet » entre l’entité œuvre et les entités des premier et deuxième groupes. Il montre qu’une œuvre peut avoir pour sujet une ou plus d’une œuvre, une ou plus d’une expression, une ou plus d’une manifestation, un ou plus d’un item, une ou plus d’une personne, et/ou une ou plus d’une collectivité.

enites3

Premières réflexions pour une éventuelle application aux archives

Il ne s’agit pas, ici, d’ébaucher un modèle conceptuel pour les archives. Mais de se poser quelques questions sur l’intérêt éventuel du modèle des bibliothécaires pour les archives. Et d’évoquer, très rapidement, quelques pistes pour l’élaboration d’un tel modèle.

Le modèle FRBR peut-il être utile pour les archives ?

Les entités du groupe 1 ne sont pas nécessairement applicables aux ressources archivistiques qui sont généralement uniques, même s’il existe, pour une minorité de documents, des reproductions : par exemple, plusieurs items d’un microfilm. À l’inverse, les entités des groupes 2 et 3 et les relations qu’elles entretiennent avec les archives sont particulièrement intéressantes et illustrent les lacunes qui peuvent exister dans les normes et formats disponibles pour les archives. On trouve, dans ce groupe 2, une grande proximité avec les préoccupations des archivistes et, plus particulièrement, la question des contextes de production (cf. partie 6 de la norme ISAAR : relations entre les collectivités, les personnes et les familles, et des ressources archivistiques ou autres). La norme ISAAR cite des exemples de relations plus nombreux que ceux du schéma ci-dessus :

  • Producteur
  • Auteur
  • Sujet
  • Détenteur
  • Dépositaire
  • Propriétaire des droits d’auteur
  • Propriétaire

À quoi on pourrait en ajouter d’autres, comme gestionnaire matériel, gestionnaire intellectuel… Pour les relations du groupe 3, les bibliothécaires se sont demandés s’il fallait ou non faire une distinction entre la notion de sujet et la notion de représentation. Par exemple, un document peut donner des informations sur une personne que l’on pourra alors qualifier de sujet de ces documents ; mais, une photographie, une gravure, une peinture… pourra représenter la même personne sans donner d’autre information sur cette personne. Les bibliothécaires ont finalement renoncé à opérer cette distinction. Dans le domaine des archives, la notion de sujet (et de représentation) n’est concrétisée que de manière informelle dans le texte-même de la description des ressources concernées ou, de manière plus formalisée, par l’indexation. Il n’existe pas de norme archivistique ni de format spécifique pour établir des notices d’autorité sur des lieux, des évènements, des concepts ou des objets en relation avec les ressources archivistiques. Et, même dans le cas de l’indexation, les relations entre une ressource archivistique et un sujet ne sont pas forcément explicitement typées.

Quelques pistes pour élaborer un modèle conceptuel archivistique

La grande modification possible, pour la description archivistique, est certainement l’évolution d’un modèle à entité unique vers un modèle multi-entités. C’est-à-dire de l’instrument de recherche – qui non seulement décrit les documents mais donne également des informations sur les producteurs et, parfois (par exemple à l’aide de notes), sur d’autres entités comme les sujets des documents – à une séparation entre descriptions des documents et description d’autres entités en relation avec ces documents. Ce modèle est adopté dans les bibliothèques depuis au moins les années 1980. Le succès de la norme ISAD(G) et de la DTD EAD et, à l’inverse, la faible mise en pratique d’ISAAR et d’EAC témoignent de la prédominance du modèle mono-entité. C’est probablement une question de culture ; mais, c’est aussi l’inadaptation des outils disponibles – en particulier le langage XML – à la mise en œuvre d’un modèle multi-entités qui a constitué un frein à l’évolution du modèle. Le passage vers un modèle multi-entités s’accompagnera d’une évolution d’une approche centrée document à une approche centrée données. Ce qui n’implique pas que l’on va exclure le document, au moins comme forme de restitution (cf. la distinction entre format de stockage des informations, format de travail et formats d’échange – dont font partie les restitutions). Les archivistes s’intéressent aux contextes de production et aux contextes de contenus. Outre des descriptions, parfois très précises, des producteurs, nombre de services ont réalisé des dictionnaires ou tout au moins des ensembles de notices biographiques et topographiques, généralement exploités de manière traditionnelle. Les documents décrits par l’archiviste sont uniques et leurs descriptions sont difficilement directement réutilisables par d’autres (contrairement aux notices catalographiques). Mais, le travail de description des contextes est largement partageable car nombre des entités concernées peuvent être communes à de nombreuses institutions. Elles ont donc vocation à s’insérer dans le vaste réseau des données liées. Et, même les ressources archivistiques, par exemple par leur origine, par leurs sujets… entretiennent des relations correspondant aux « sources complémentaires » de nos actuels instruments de recherche et il est donc également important d’insérer leurs descriptions dans le réseau des données liées. L’élaboration d’un modèle conceptuel va naturellement consister à recenser les différentes classes d’entités concernées, à formaliser les jeux de métadonnées nécessaires à leur description et à tenter de dessiner l’ensemble des relations possibles à l’intérieur du domaine.

Définir des classes d’entités

Si le point central de notre domaine est la ressource archivistique, quelles sont les entités qui sont en relation avec ces ressources ? Il peut être difficile de considérer ces entités sans considérer en même temps les relations qu’elles entretiennent avec les ressources archivistiques. Il faut également se méfier de ne pas créer des classes d’entités qui n’en seraient pas. Faut-il, par exemple, créer une classe des producteurs, une classe des gestionnaires d’archives (les services d’archives) ? Mais, un service d’archives produit également ses propres archives. En fait, on créera plutôt une classe de personnes physiques ou morales – qu’on nomme généralement des agents :

  • La ressource archivistique 1 a pour producteur l’agent A
  • La ressource archivistique 1 a pour gestionnaire l’agent B

Dans ce schéma, il est tout à fait possible de prendre en compte le cas particulier des archives du service d’archives :

  • La ressource archivistique 2 a pour producteur l’agent B
  • La ressource archivistique 2 a pour gestionnaire l’agent B

Recenser les attributs des entités

Une deuxième étape pourra consister à recenser les propriétés qui caractérisent chaque entité : ses attributs. Ceci, avec, parfois, la difficulté de distinguer attributs et relations avec d’autres entités. Par exemple, pour une personne, « a pour lieu de naissance » est-il un attribut ou une relation entre la personne et le lieu ? Et, la distinction est-elle aussi importante à faire ? Bien sûr, pour qu’il y ait relation avec une autre entité, cela suppose que cette entité ait été prise en compte dans notre modèle (ou un autre). Un attribut pourra simplement se présenter sous la forme d’un littéral (il peut s’agir d’un texte, d’une date, d’un nombre et pas d’un lien vers une autre entité).

Établir les relations intra et inter classes

Une troisième étape pourra consister à recenser les différentes relations entre entités d’une même classe et de classes distinctes. Il s’agit là d’une étape essentielle et complexe, surtout en ce qui concerne les entités autres que les ressources archivistiques. Relation inter classe :

  • La ressource archivistique 1 a pour producteur l’agent A

Relation intra classe :

  • La ressource archivistique 1 a pour partie la ressource archivistique 1.1

Prendre en compte la temporalité

De plus, la dimension temporelle est souvent essentielle : le triplet « Jean Dupont a pour lieu de résidence Clochemerle » peut n’être valide qu’entre deux dates. Les caractéristiques d’une entité peuvent ne pas être permanentes. Chez les personnes, même le genre peut, dans des cas rares, changer ! On touche là à l’une des principales difficultés de la modélisation, en particulier pour les notices d’autorité.

Quelques références

  1. Une évolution dans les pratiques descriptives – Vers un modèle conceptuel archivistique ? / Nils Brübach, Sächsisches Staats­archiv – Hauptstaatsarchiv Dresden ; Robert Nahuet, Bibliothèques et Archives Canada ; Claire Sibille de Grimoüard, Service interministériel des Archives de France in Arbido, 2/2012. 
  2. CBPS – Rapport d’étape pour la révision et l’harmonisation des normes de description de l’ICA. 4 juillet 2012. Accessible à l’adresse http://www.ica.org/13156/normes/cbps-rapport-dtape-pour-la-rvision-et-lharmonisation-des-normes-de-description-de-lica.html (consulté le 3/02/2015).
  3. Présentation du groupe d’experts sur la description archivistique du Conseil international des archives. Accessible à l’adresse http://www.ica.org/13800/le-groupe-dexperts-sur-la-description-archivistique/au-sujet-de-legad.html (consulté le 3/02/2015)
  4. Vers un modèle conceptuel international pour la description archivistique / Gretchen Gueguen, Vitor Manoel Marques da Fonseca, Daniel V. Pitti et Claire Sibille de Grimoüard. Accessible à l’adresse http://www.ica.org/download.php?id=3387 (consulté le 3/02/2015)
  5. On trouvera des enregistrements des leçons de Serge Abiteboul à l’adresse http://www.college-de-france.fr/site/serge-abiteboul/_audiovideos.jsp (consulté le 3/02/2015).
  6. Pour le modèle FRBR, il y a beaucoup à lire.
    • 6.1 Pour tout savoir sur FRBR : Fonctionnalités requises des notices bibliographiques : rapport final / Groupe de travail IFLA sur les Fonctionnalités requises des notices bibliographiques. 2e édition française établie par la Bibliothèque nationale de France, 2012. Accessible à l’adresse http://www.bnf.fr/documents/frbr_rapport_final.pdf (consulté le 3/02/2015. Si nécessaire, copier le lien et le coller dans votre navigateur)
    • 6.2 Une synthèse pour un abord rapide sous forme de diaporama : Le modèle FRBR / Aix-Marseille université. Accessible à l’adresse http://mistral-doc2012.sciencesconf.org/conference/mistral-doc2012/pages/evolutions_catalogage_2.pdf (consulté le 3/02/2015)
    • 6.3 Une autre synthèse, sous forme d’un article traduit en français : FRBR, qu’est-ce que c’est ? : Un modèle conceptuel pour l’univers bibliographique / Barbara Tillett. Library of Congress, 2004. Traduction par la Bibliothèque nationale de France, 2012. Accessible à l’adresse https://docplayer.fr/3210808-Frbr-qu-est-ce-que-c-est.html (consulté le 3/02/2015)
    • 6.4 Pour aller plus loin, sur les notices d’autorité, le modèle FRAD : Fonctionnalités requises des données d’autorité : Un modèle conceptuel / Groupe de travail IFLA sur les Fonctionnalités requises et la numérotation des notices d’autorité (FRANAR). Édition française établie par la Bibliothèque nationale de France, 2010. Accessible à l’adresse http://www.bnf.fr/documents/frad_rapport_final.pdf (consulté le 3/02/2015)
    • 6.5 Sur les notices d’autorité matière, le modèle FRSAD : Fonctionnalités requises des données d’autorité matière (FRSAD) : Un modèle conceptuel / Groupe de travail IFLA sur les Fonctionnalités requises des notices d’autorité matière (FRSAR). Édition française établie par la Bibliothèque nationale de France, 2012. Accessible à l’adresse http://www.bnf.fr/documents/frsad_rapport_final.pdf (consulté le 3/02/2015)
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