Saint-Vidal aux XIIIe et XIVe siècles

La naissance d’une seigneurie

On ne sait rien des premiers possesseurs de Saint-Vidal avant le XIIIe siècle, si ce n'est l'existence d'une famille portant ce nom ; ainsi Guillaume de Saint-Vidal est cité en 1252 dans le legs de Lyon de Peyrusse en faveur de la collégiale Saint-Agrève du Puy. L'acte le plus ancien concernant la seigneurie est un arbitrage rendu en 1288 sur la justice de Saint-Vidal entre le vicomte de Polignac et Hugues de La Tour ; c'est à la fois un acte de baptême et une conclusion. En effet, en reconnaissant à Hugues de La Tour le droit de rendre la justice haute et moyenne, le vicomte de Polignac consacre la constitution de cette nouvelle seigneurie et accepte qu'elle devienne indépendante de ses terres vicomtales. La conséquence la plus importante de cet accord sera que la seigneurie de Saint-Vidal figurera au rang des baronnies diocésaines dont les titulaires avaient droit d'entrée aux États de Velay dans le rang de la noblesse, et ce dès le début du XIVe siècle. Il faudra attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle pour que le titre se sépare de son assise territoriale : en 1765, lors de la vente de la seigneurie à Louis-Augustin Porral, Pierre-Joseph de Rochefort d'Ally se réserva le titre baronnial, qu'il transféra sur sa terre de la Bauche, puis son gendre Jean-Joseph d'Apchier le vendit en 1787 à Jacques-Charles de Polaillon qui l'attacha à sa terre de Glavenas.
La transaction de 1288 nous apprend le nom du premier seigneur de Saint-Vidal, Hugues de La Tour. Ce patronyme est courant dans la région, La Tour d'Auvergne ou Malet de Latour-Maubourg, mais rien ne permet de relier ces familles l'une à l'autre. Le berceau de la famille de La Tour Saint-Vidal semble être Barges, aux confins du Velay et du Vivarais, non loin du prieuré casadéen de Saint-Paul-de-Tartas : des accords sont passés en 1230, 1260 et 1280 pour raison du droit de dîme et la construction d'un oratoire à Barges. Cependant, en 1230, Pierre de La Tour achète au vicomte de Polignac le fief del Quint au terroir de Saint-Vidal. C'est sans doute le début de la constitution de la seigneurie.
En juillet 1265, Adhémare, épouse d'Hugues de La Tour, fait son testament à Barges

(7) 7. Possessions de la famille de La Tour d’après les terriers et hommages, vers 1265

. Si elle lègue vingt livres pour la construction d'une chapelle à Barges, elle dote aussi les églises de Saint-Vidal, Sanssac, Saint-Rémy, Chaspuzac, Borne, Goudet, Arlempdes, Saint-Arcons-de-Barges et Saint-Paul-de-Tartas. On ne connaît pas son patronyme, Goudet ou Saint-Vidal, chaque hypothèse étant confortée par partie de cette liste d'églises. Son lieu de sépulture, le couvent des Franciscains du Puy, sera le caveau de la famille : Antoine de La Tour Saint-Vidal y sera inhumé en 1591 à l'issue de grandioses cérémonies. Un fait demeure : les relations entre la famille de la Tour et Saint-Vidal ne paraissent définitivement établies qu'après 1265, ce qui autoriserait à rattacher Adhémare à la famille primitive de Saint-Vidal.
Une succession de mariages judicieux, à la fin du XIIIe et durant le XIVe siècle, va accroître l'assise territoriale de la famille de La Tour :
- Vers 1296, Hugues de La Tour épouse Girine de Glavenas, qui hérite en 1297 de la co-seigneurie de Glavenas avec les villages de Blanzac, Azanières et Vialettes. L'extension se fait ainsi vers les bords de la Loire, en séparant la vicomté de Polignac de ses terres de l'Emblavès. En 1306-1316, des accords règlent, entre le vicomte de Polignac et Hugues de La Tour, les droits de justice et les péages de Saint-Paulien, Blanzac et Soleilhac, donnant ainsi naissance au mandement de Blanzac et Azanières.
- Vers 1320-1330, Hugues-Béchicot de La Tour épouse Béatrix de Sereys, qui apporte en héritage les terres de Sereys, les Ternes, le Thiolent et Jalavoux, sises à l'ouest de Saint-Vidal.
- En 1348, Hugon de La Tour épouse Catherine de Goudet, dont le frère, Lambert, teste en 1389, laissant un fils qui meurt en 1399. À l'issue d'un procès contre Aélis de Tournon, veuve de Lambert, Hugon de La Tour annexe à ses biens les terres de Goudet, Montvert, Montusclat, Eynac, le Villard et Arlempdes, contrôlant ainsi la haute vallée de la Loire et la route du Puy vers l'est, et la vallée du Rhône.
Au début du XVe siècle, la famille de La Tour Saint-Vidal est l'une des plus richement possessionnées du Velay

(8) 8. Possessions de la famille de La Tour d’après les terriers et hommages, au début du XVe siècle

, avec les deux baronnies diocésaines de Saint-Vidal et de Goudet, cette dernière autorisant en 1436 l'assistance aux États provinciaux de Languedoc. Le prestige de la famille bénéficie aux cadets, dont certains sont d’église : Hugues, chanoine du Puy, qui teste en 1347, Marquèze, abbesse de Bellecombe en 1429, et surtout Drogon, abbé du Monastier Saint-Chaffre de 1390 à 1419, dont on retiendra qu'il fut en 1389 l'exécuteur testamentaire de Lambert de Goudet. On ne sera donc pas surpris de trouver divers membres de la famille mêlés aux événements qui ont touché le Velay durant la Guerre de Cent Ans. Le château fut assiégé le 28 août 1364 par le routier Louis Roubaud, lieutenant de Séguin de Badefols, au cours d'une incursion dans le pays. Guyot de Saint-Vidal fut désigné par les États de Velay en 1382 pour commander des troupes levées contre les routiers, puis en 1384 pour aller négocier avec le duc de Berry sur les impositions de guerre. Hugues de Saint-Vidal, capitaine des bailliages de Velay, Vivarais et Valentinois, fut capturé par les Anglais en 1384 ; interné à Alleuze, il fut libéré contre une rançon dont il n'était pas encore remboursé en 1396. Dans ses Chroniques, Froissart raconte la présence, en 1390, de Pierre au combat de La Roche-Vendaix contre Mérigot Marchès, et celle, en 1389, de Guyot au siège de Ventadour. Durant toute cette période, les La Tour Saint-Vidal participent activement aux réunions des États de Velay, dont l'autorité se développe face à la faiblesse momentanée du pouvoir royal.

La première maison

Complètement englobé dans des constructions plus tardives

(9) 9. Éléments subsistantsde la première maison

, le château primitif est en grande partie conservé.
Les courtines actuelles, c'est-à-dire les grands murs entre les tours, déterminent depuis l'origine la masse générale du château. À l'intérieur de ces murs, les bâtiments paraissent avoir été disposés sans souci de composition.
Le logis était adossé au mur nord, face à l'entrée actuelle. Le passage voûté de celle-ci est peut-être le vestige du châtelet primitif qui défendait l'entrée percée comme aujourd'hui dans la courtine sud. En 1980, des fouilles ont révélé devant cette entrée un fossé comblé et les vestiges d'un pont amovible. D'autres constructions étaient certainement adossées contre les autres courtines. Les pièces voûtées en berceau brisé ou d'arêtes dans l'angle nord-est devaient alors servir de celliers.
L'ensemble de ces bâtiments est construit en prismes de basalte pour les grands murs, en brèche volcanique brun-vert pour les encadrements et en sorte de pierre-ponce soigneusement appareillée pour les voûtes, comme on le voit au-dessus de la cave de l'ancienne cuisine. Cette construction, solide mais rudimentaire, ne permet pas de dater ces bâtiments.
Seul le bâtiment qui fait face à l'entrée est conservé sur toute sa hauteur et permet de savoir à quoi pouvait ressembler le château primitif. Il a encore aujourd'hui quatre niveaux. Les celliers enterrés (caves des "vieilles cuisines")

(10) 10. Départ de l’escalier droit menantaux caves des «vieilles cuisines»

  sont voûtés en berceau brisé ; on y accède par un escalier droit qui s'enfonce à gauche dans le sol de la cour. Une pièce unique, voûtée d'ogives, forme le rez-de-chaussée (appelée aujourd'hui "les vieilles cuisines"). Le premier étage semble avoir été divisé ultérieurement. Dans le galetas, c'est-à-dire sous le toit, on voit contre la souche de la cheminée occidentale la trace de l'ancienne couverture, plus basse que l'actuelle et à deux versants.
Il faut probablement reconnaître dans la salle du rez-de-chaussée l’aula, ou salle d'apparat du château primitif. Elle n'était alors certainement pas voûtée mais simplement planchéiée : du côté de la cheminée monumentale, à l'ouest, c'est-à-dire à gauche en rentrant dans la pièce, les nervures des ogives retombent maladroitement sur des moulures non prévues pour les recevoir. La cheminée qui lui fait face n'existait pas non plus : elle est postérieure à la voûte qu'elle vient manifestement interrompre. Son conduit passe dans les étages entre deux murs espacés d'un mètre environ. Il est probable que des escaliers droits superposés desservaient, dans cet étroit espace, les différents niveaux qui devaient abriter les chambres (le seigneur à l'étage, les domestiques et les enfants sous le toit). La cheminée monumentale est encore romane de forme

(11) 11. La cheminée monumentaledes «vieilles cuisines»

 , comme les trois portes en arc brisé, à larges claveaux, visibles sur la façade sud dans la cour. Le vocabulaire architectural n'évolue guère au Moyen Âge dans les constructions civiles et militaires ; il faut donc éviter de remonter trop dans le temps le château primitif sur ces seuls indices.
Cette organisation (une grosse maison cernée de murs) n'est pas typique d'une époque. De plus, les châteaux ou les constructions civiles de la période centrale du Moyen Âge sont rares alentour, ce qui ne simplifie pas les comparaisons. Des XIIe ou XIIIe siècles, on connaît néanmoins la résidence des évêques du Puy : le donjon à vocation militaire (tour Saint-Mayol, détruite au XIXe siècle) était bien distinct du palais proprement dit (bâtiment des mâchicoulis, actuel musée d'art religieux du cloître). Cette dualité est héritée des châteaux du haut Moyen Âge, où le domicilium du seigneur est souvent distinct du donjon de bois ou de pierre, posé sur une motte. C'est encore celle du château de Castelnaud-Bretenoux (Dordogne), au XIIIe siècle, où le donjon est distinct de la résidence seigneuriale proprement dite (bâtiment de l'Auditoire). Le logis conservé à Saint-Vidal serait à rapprocher de ce genre de résidence, traitée bien sûr modestement, comme l'était la seigneurie à l'origine. Il diffère profondément des constructions de la fin du XIVe siècle qui sont mieux connues : à Polignac, Poinsac et Mons sont alors construits ou reconstruits des donjons habitables, fortes tours carrées, couronnées de mâchicoulis.
Cet ensemble formé d'un logis et d'annexes composait donc le premier château de Saint-Vidal. Le patronyme de la famille, La Tour, rend probable la présence d'un véritable donjon distinct de cette maison. Faut-il en reconnaître le soubassement dans les premiers étages de la grosse tour proche de l'église ? Rien n'est moins sûr. Si cette pièce principale de la défense nous échappe, une enceinte extérieure est partiellement conservée. Une terrasse au parapet crénelé protège le front nord. Ce parapet a été surélevé, mais les créneaux sont encore nettement visibles dans le mur qui longe aujourd'hui la douve. Il faut certainement y reconnaître une lice, autrement appelée boulevard ou fausse-braie, destinée par sa masse à protéger le bas des murs du château d'éventuelles galeries de mines

(12) 12. Le château et sa fausse-braie : vus du plateau de Lacussol

 .
Cette terrasse pouvait également porter de l'artillerie, utilisée principalement à ses débuts pour la défense. La minceur du parapet confirme d'ailleurs que ces aménagements remonteraient à l'époque des balbutiements (à la fin du XIVe ou au début du XVe siècle) et peut s'expliquer par la nécessité de protéger l'ensemble du château et du bourg à l'époque troublée de la guerre de Cent Ans. Pour juger de l'efficacité d'un tel dispositif, il faut rétablir par l'esprit la douve à sa largeur d'origine et supprimer les bâtiments qui la bordent au nord, du côté opposé au château. Cette enceinte n'est plus conservée qu'au nord, c'est-à-dire aux endroits non bouleversés par les aménagements ultérieurs. Il est vraisemblable qu’elle ait englobé complètement le bourg groupé autour de l'église : sa trace se lit encore clairement sur le cadastre. Les maisons s'y sont progressivement adossées quand elle a perdu son utilité de défense. Elle a aujourd'hui disparu du côté de la rivière (au-dessus de la voie ferrée).
Le grand mur qui isole le verger du village est postérieur. Ce mur, l'extension du village ont fait perdre au site cette claire articulation, presque organique par sa simplicité, qui est la marque du Moyen Âge

(13) 13. Vue générale du site de Saint-Vidal, dessin par Truchard du Molin, 2e moitié du XIXe siècle

 . De la même façon, la maison forte du début du XIVe siècle, presque invisible aujourd'hui, va être conservée et englobée dans tous les aménagements qui vont suivre.