Acteur dans le domaine du patrimoine, Anaphore a tenu à participer localement – à Barbentane – à la commémoration du centenaire de l’armistice de 1918. Cette participation s’est manifestée selon différents volets : l’organisation de deux expositions et la prise en charge de l’édition d’un ouvrage. Dans ce premier texte, nous présentons l’une de ces expositions.

Lors des journées Arkhéïa à Albi, début octobre 2018, j’ai eu l’occasion de présenter le travail en cours sur les archives du projet de musée de la Farandole de Barbentane.
Je reviens rapidement sur cette histoire, que Laurent Sébastien Fournier, ethnologue, a très finement explorée, en consultant un grand nombre de sources d’archives : ville Barbentane, Musée national des arts et traditions populaires (MNATP, devenu Mucem), Archives nationales, Direction des musées de France, French Lines, New York public Library, etc. et en réalisant des enquêtes orales.

Quelles relations entre le Musée national des arts et traditions populaires et Barbentane ?

Suite à l’Exposition internationale de Paris en 1937—où la présentation du musée de terroir de Romenay (Saône-et-Loire) avait connu un grand succès—Georges Henri Rivière, muséologue, fondateur du Musée national des arts et traditions populaires, choisit Barbentane pour représenter la France à l’Exposition universelle de New York en 1939, la World’s Fair : Building the Word of Tomorrow, qui coïncide au 150e anniversaire du gouvernement fédéral des États-Unis et de la Révolution française. Dans le prolongement de la World’s Fair, il s’agit également de créer à Barbentane un musée du terroir, plus particulièrement dédié à la farandole.

Dans ce contexte, une mission d’enquête est organisée à Barbentane en deux phases, du 10 au 26 novembre 1938, puis 23 au 29 décembre 1938. Pour la première phase, qui nous intéresse ici, quatre enquêteurs se sont rendus sur place : Georges Henri Rivière, Marcel Maget, Guy Pison et André Varagnac.

Grâce à quoi, nous avons la chance de disposer de journaux de route, de carnets de croquis et de nombreuses photos réalisés lors de ces enquêtes, puis d’une nouvelle, en 1947, ce qui nous offre une vision très intéressante de la vie, de l’économie des fêtes et des traditions à Barbentane à cette époque.

Le premier contact des enquêteurs du MNATP avec Barbentane

Citons un extrait d’un texte de Laurent Sébastien Fournier La mission du Musée national des Arts et Traditions populaires à Barbentane (Bouches-du-Rhône) en novembre 1938, publié dans l’ouvrage collectif Du folklore à l’ethnologie. Institutions, musées, idées en France et en Europe 1936-1945, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009.

Les enquêteurs quittent Paris le jeudi 10 novembre 1938 à 21 h 30, sur mission du Gouverneur général Olivier et de M. BarbeauMarcel Olivier a d’abord été fonctionnaire colonial, d’où son titre de Gouverneur général. Il est nommé commissaire général de la section française à l’exposition de New York 1939. Henri Barbeau est son secrétaire général.. L’objet de la mission est de créer le musée de Barbentane, et de préparer le pavillon de l’exposition de New York et la présentation d’un intérieur provençal avec le Museon arlaten. Installés à l’hôtel Crillon à Avignon, les enquêteurs prennent une première série de photographies le 11 novembre au matin, puis rejoignent Barbentane où ils assistent à la cérémonie de commémoration de l’armistice de 1918Vingt ans après la fin de la première guerre mondiale, le 11 novembre 1938 est marqué par des célébrations plus importantes que les années précédentes : le registre des délibérations du conseil municipal de Barbentane (n° 19, p. 110 v°, séance du 6 novembre 1938) prévoie une « fête exceptionnelle ». Le discours de Paul Berlandier, dont le fils a été tué à la guerre, avait impressionné Georges Henri Rivière au point d’être conservé avec d’autres textes du même auteur au Service historique du Musée national des Arts et Traditions populaires, manuscrit Ms 43-251-5, ff. 494-497.. Dans le cortège qui les conduit à la mairie, les deux compagnies de farandoleurs de Barbentane, La Farandole provençale et L’Hirondelle barbentanaiseLa Farandole est proche de l’Action Française. En 1929, le père du directeur Gaston Gautier a reçu l’extrême-onction malgré l’interdit de l’Église, ce qui a entraîné la fermeture momentanée de la paroisse de Barbentane (cf. Turrier (1939) et Jarno et Linsolas (1981)). La Farandole a été fondée en 1930, peut-être à la suite de cet épisode. On retrouve ensuite Gaston Gautier comme collaborateur actif sous Vichy où il fondera un groupe folklorique (cf. Revue d’Arles, n° 5 et 6, juillet-août 1941, p. 175, p. 189 ; n° 7, septembre 1941, p. 200-201 ; n° 11, janvier-mars 1942, pp. 33-34 ; n° 16, janvier-février 1943, p. 24).). L’Hirondelle, plus modérée, est « républicaine » et a été fondée avant 1914 (statuts déposés en 1925). C’est son directeur, Louis Pécout, qui reprendra le projet de musée après 1945., défilent ensemble pour la première fois. Les enquêteurs nouent à cette occasion les premiers contacts avec leurs informateursIls rencontrent notamment Pierre Mourrin, Albert Vernet, les responsables des associations de farandoleurs Louis Pécout (L’Hirondelle barbentanaise) et Gaston Gautier (La Farandole provençale), le boulanger passionné de tauromachie Pierre Fontaine, le secrétaire du syndicat agricole Jean-Marie Auzépy, les carriers Louis Joseph, Louis Pons et Simon Moucadeau, le responsable de la pastorale Marcel Ginoux.. L’après-midi, trois de ces informateursIl s’agit de Louis Pécout, Pierre Fontaine et Pierre Mourrin. les emmènent voir des mas dans la Montagnette ; les enquêteurs en profitent pour les interroger sur la pétanque ou sur les fêtes. Le soir, ils vont dîner à Villeneuve-lès-Avignon chez Joseph Clamon, qui leur indique l’existence du bourrelier Mascle, à Maussane.

Voici maintenant un extrait du journal de route, rédigé par Georges Henri Rivière, concernant le 11 novembre 1938 au matin.

Barbentane

Cérémonie 11 novembre

Vers 10 h 45, arrivée à Barbentane au moment même où les anciens combattants et la population, sous la conduite du maire, sont rassemblés devant le Monument aux Morts. Discours, notamment un très émouvant par Paul Berlandier, vieillard dont le fils a été tué à la guerre, ancien garde du Canal des Alpilles [Alpines], ancien carrier.

Nombreuses photos.

L’assistance se rend en cortège et se disperse devant la mairie. Photo de bannières, notamment des deux bannières de L’Hirondelle barbentanaise et de La Farandole provençale (qui ont défilé ensemble pour la première fois) et de Pierre Mourrin, moniteur de L’Hirondelle barbentanaise.

Déjeuner, invité par Pécoud [Pécout], après que j’aie été convié par le maire au vin d’honneur des anciens combattants. À la prière du maire, je prends la parole pour exposer l’état de la question du Musée.

Accueil chaleureux de tous.

Des archives à l’exposition

Le Mucem m’avait confié des images numériques de qualité correspondant aux photos réalisées lors des enquêtes du MNATP en Provence et, ainsi que l’indique Georges Henri Rivière, les photos concernant la commémoration du 11 novembre sont nombreuses.

Il m’a semblé intéressant, à l’occasion du centième anniversaire de l’armistice, de montrer, puisque nous avions la chance d’en disposer, des images du vingtième anniversaire. À ce moment, les personnes qui avaient vécu pendant la guerre étaient nombreuses encore en vie et, pour certaines, encore jeunes. Et, si on lit à travers les discours qui nous sont parvenus qu’elles aspiraient à la paix, elles étaient malheureusement à la veille de la Seconde Guerre mondiale !

Le Mucem nous a sans difficulté donné l’autorisation d’utiliser les photos. Si les élus municipaux n’ont pas montré un grand enthousiasme à l’évocation du projet, ils ont été totalement conquis à la présentation des panneaux.

L’exposition

Les photographies

Toutes les photographies ont été prises par Marcel Maget. Une première série (ci-dessous, devant le monument aux morts) correspondent à un négatif 6 × 6 cm, les autres à un négatif 24 × 36 mm.

J’ai sélectionné quinze images qui correspondent à quatre temps illustrés ci-dessous :

  1. La cérémonie, devant le monument aux morts, pendant les discours
  2. La cérémonie, le défilé des sociétés
  3. La cérémonie, devant la mairie, pendant que la fanfare joue La Marseillaise
  4. Après la cérémonie, les jeunes femmes vont et les hommes devant le pastis de midi.

Marcel Maget a également photographié les enfants de l’école.

Les tirages ont été exécutés par Picto sur papier RC brillant Ilford et collés sur carton mousse adhésif une face. Les formats sont environ 40 × 42 cm pour les 6 × 6 et 42 × 28 cm pour les 24 × 36.

Cérémonie du 11 novembre. Monument aux morts. Pendant les discours Photo Marcel Maget—Phw-1939-1-6 © Mucem

Cérémonie du 11 novembre. Monument aux morts. Pendant les discours Photo Marcel Maget—Phw-1939-1-6 © Mucem

 

Le cours. Cérémonie du 11 novembre : le défilé des sociétés Photo Marcel Maget—Phw-f-371-2 © Mucem

Le cours. Cérémonie du 11 novembre : le défilé des sociétés Photo Marcel Maget—Phw-f-371-2 © Mucem

 

Le cours. Devant la mairie : la musique joue la Marseillaise Photo Marcel Maget—Phw-f-371-5 © Mucem

Le cours. Devant la mairie : la musique joue la Marseillaise Photo Marcel Maget—Phw-f-371-5 © Mucem

 

Après la cérémonie du 11 novembre. Le cours. La promenade des jeunes filles Photo Marcel Maget—Phw-f-371-6 © Mucem

 

Après la cérémonie du 11 novembre 1938. Le cours. Le pastis du midi Photo Marcel Maget—Phw-f-371-7 © Mucem

Après la cérémonie du 11 novembre. Le cours. Le pastis du midi Photo Marcel Maget—Phw-f-371-7 © Mucem

 

Cérémonie du 11 novembre. Les enfants de l’école Photo Marcel Maget—Phw-1939-1-1 © Mucem

Cérémonie du 11 novembre. Les enfants de l’école Photo Marcel Maget—Phw-1939-1-1 © Mucem

Les panneaux de texte

L’exposition des photos est complétée par des panneaux de textes.

Trois panneaux situent le contexte de la présence des enquêteurs du MNATP à Barbentane le 11 novembre 1938. Il s’agit d’un texte de présentation, de l’extrait du journal de route pour la journée et d’un plus large extrait de l’article de Laurent Sébastien Fournier cité ici, présentant la chronologie de l’enquête de novembre 1938.

Encore grâce à la précision du travail de Laurent Sébastien Fournier, il a été facile de retrouver, aux archives de Barbentane, la délibération du conseil municipal du 6 novembre 1938 relative à l’organisation, sur trois jours, de la commémoration du vingtième anniversaire de l’armistice. Une reproduction photographique de ce document est exposée.

Laurent Sébastien Fournier indiquait aussi les cotes précises, aux archives du MNATP, du discours de Paul Berlandier qui avait ému Georges Henri Rivière. De fait, les enquêteurs s’étaient procuré trois textes de discours de ce monsieur. Celui prononcé le 11 novembre 1938 devant le monument aux morts, un autre prononcé au cimetière de la ville le 1er novembre 1937, enfin, celui prononcé le 9 octobre 1921, à l’occasion de l’inauguration du monument aux morts.

Il a été un peu plus difficile de se procurer ces documents. Je me suis d’abord adressé aux Archives nationales où j’avais pu consulter de nombreux documents provenant du MNATP. Pascal Riviale a très rapidement répondu à ma sollicitation en m’indiquant que ces documents étaient conservés au Mucem et non aux Archives nationales. J’ai alors sollicité Marie-Charlotte Calafat, adjointe du département des collections et des ressources documentaires du Mucem. Or, ces documents se trouvaient chez un prestataire, en cours de numérisation. Mais, grâce à l’efficacité de Marie-Charlotte et de Fabienne Tiran, responsable des archives, les images numériques ont été récupérées et m’ont été transmises largement dans les temps.

Ci-dessous la transcription du discours prononcé par Paul Berlandier le 11 novembre 1938.

Mes chers amis,

 

Au nom des combattants et des ascendants.

J’adresse aux victimes de la grande guerre un hommage de perpétuelle reconnaissance. Pendant quatre années, ils ont fait et feront toujours l’admiration de tous les peuples.

Aujourd’hui, réunis pour commémorer pieusement la glorieuse date du 11 novembre, nous sommes groupés autour de ce monument élevé en signe de reconnaissance et nous nous inclinons respectueusement devant ce monument symbole toujours vivant de leur héroïsme. Nous n’avons pas oublié et nous n’oublierons jamais leur sacrifice sublime.

La France est aujourd’hui joie et tristesse.

Ils ont fait leur devoir. À nous maintenant de faire le nôtre, que notre labeur rende à la pauvre France sa prospérité pour l’avenir dans la paix. Ce sera la seule récompense digne d’eux et la seule qu’ils nous réclament sous leurs modestes croix de bois.

Vivons pour notre pays dans l’union, la paix mondiale, et non la guerre et à nos sentiments biens [?].

 

Vive la France.

BP

L’organisation pratique

La commune a mis à disposition une salle pour l’exposition.

L’aspect logistique et la communication ont été pris en charge par une association culturelle locale très active, La Licorne et le Dragon, animée par Joëlle Cousinaud, qui a également organisé, pour le 11 novembre, une séance de lecture de texte du peintre provençal Auguste Chabaud et d’Henry Poulaille, qui ont tous deux participé à la Grande Guerre.

Les Barbentanais sont invités à un « concours de reconnaissance » des personnes présentes sur les photos de 1938. Audrey Boniface, en contrat de professionnalisation chez Anaphore a silhouetté les photos et les visiteurs de l’exposition sont invités à compléter un tableau de reconnaissance.

Silhouette de la photo des enfants de l’école—phw-1939-1-1

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