Parmi les nombreux villages perchés de Provence, Barbentane tient une place toute singulière.
La nature, la géographie, puis l’histoire – c’est-à-dire les hommes – en ont fait une terre de dualités et de rareté.
Sécheresse et abondance d’eau
Ce village du midi regarde vers le nord et partage son territoire entre les arides collines calcaires de la Montagnette et la plaine alluviale irriguée, là-même où la capricieuse Durance donne rendez-vous au Rhône fougueux, né des glaciers suisses. Ainsi, sous un climat méditerranéen, ailleurs largement synonyme de sècheresse, l’eau est partout (en surface comme en profondeur) abondante et de grande qualité. Les travaux des hommes, depuis des siècles – captage de sources, canaux d’irrigation et d’évacuation des eaux pluviales, drainage des terres marécageuses – ont complété les dons de la nature pour créer ici une véritable oasis et préparer, pour les hommes de demain, un incommensurable trésor.
Fortes chaleurs et vent froid
Si l’été le soleil – le cagnard –, chanté par les cigales, est prêt à brûler la peau des imprudents, l’hiver, un mistral « à décorner les bœufs[1] » – car au maximum de sa puissance au sortir du couloir rhodanien – manque de vous transformer en cerf-volant, les jours de ses grands excès.
Mais, quand l’eau est abondante au niveau du sol, le soleil et le vent rendent le ciel clair et l’atmosphère particulièrement limpide, et surtout saine à hauteur d’homme et de cultures !
Quand les Bouches-du-Rhône rencontrent le Vaucluse et le Gard
La géographie administrative n’est pas en reste. Commune la plus septentrionale du département des Bouches-du-Rhône, Barbentane est à plus de 100 km de route de Marseille, mais à moins de 40 km de Nîmes, préfecture du Gard, et confine avec Avignon, chef-lieu de Vaucluse.
La commune se trouve au point de rencontre des trois départements et à l’intérieur du « triangle d’or » Arles-Avignon-Nîmes, terre d’histoire, de patrimoine, de festivals et haut lieu de tourisme héliotropique, gastronomique, culturel…
À la croisée des chemins
Barbentane s’est toujours trouvée au carrefour des voies de communication venant du nord (de la France et donc de l’Europe), du sud-est (et donc d’Italie) et du sud-ouest (et donc d’Espagne). Cette situation « privilégiée » n’a pas toujours été bénéfique aux habitants, loin de là. Ainsi, comme le rapportent les précieuses archives de la commune[2], les troupes royales, retour d’expéditions guerrières étrangères, faisaient régulièrement halte sur le terroir de Barbentane avant de reprendre la route vers le nord. Les habitants, peu fortunés, devaient fournir des terrains pour la soldatesque et ses montures, des piquets pour les tentes, et de la nourriture. Le soir venant, les militaires étaient à l’origine de quelques débordements dans les tavernes et les ruelles. Avec la sécheresse – avant la maîtrise de l’irrigation –, les inondations – qui se produisaient régulièrement avant les endiguements des années 1960 –, les conflits récurrents avec le voisinage, il s’agissait là d’un des plus lourds fléaux qui frappaient les Barbentanais.
Mais, de nos jours, Barbentane est idéalement située au cœur de cette Provence qui fait rêver, à proximité immédiate de grands axes routiers, fluviaux et ferroviaires. En particulier, la gare d’Avignon TGV, ouverte en 2001, est à moins de dix minutes de Barbentane, qui se trouve ainsi à seulement un peu plus d’une heure de Lyon et à moins de trois heures du centre de Paris.
Une histoire mouvementée
Au cours des siècles passés, malgré leurs misères, les Barbentanais trouvaient le temps de se quereller, voire de se déchirer entre eux ! La période des Guerres de Religion, puis la Révolution française ont généré des fractures qui ont perduré jusqu’à une période récente. Petite anecdote illustrative : le 17 février 1879, le maire, Jean-Baptiste Fontaine, dut prendre un arrêté partitionnant le village entre blancs et rouges, avec interdiction, pour chacun des groupes, de « dépasser en farandole », « ni dépasser en promenade » les limites tracées par l’arrêté.
Un patrimoine riche et des traditions
Mais l’histoire a aussi laissé un riche patrimoine de monuments – église, couvent, hôpital, fortifications, nombreux châteaux, maisons bourgeoises, moulins à blé et à huile, mas, jardins… – et de traditions.
La farandole fut l’une des grandes gloires de Barbentane, qu’Alphonse Daudet qualifiait de « pays des danseurs fameux »
Le village comptait, au XXe siècle, deux sociétés de farandole, l’une classée bien à droite, qui fut dissoute à la Libération, et l’autre républicaine. Toutes deux parcouraient en tous sens la France pour se produire, rencontraient de grands succès et remportaient de nombreux prix. Ainsi, elles permettaient, à de jeunes de milieux modestes et à leurs accompagnateurs, de découvrir d’autres régions et d’autres coutumes, leur offrant une ouverture sur l’extérieur, peu fréquente dans les territoires ruraux ; ce qui, probablement, contribuait à leur esprit d’entreprise.
Esprit d’entreprise et persistance des traditions
Le fondateur du Musée national des arts et traditions populaires, Georges Henri Rivière – GHR – (1897-1985), auquel le Mucem, à Marseille, vient de rendre hommage à travers une grande exposition, soulignait une autre dualité :
« Barbentane est un cas typique de communauté rurale dont l’économie actuelle est fondée sur une courageuse et radicale transformation de l’ancien genre de vie. À des cultures et à des industries qui, maintenues, auraient conduit la vieille cité à sa ruine, ont été hardiment substituées des activités nouvelles, génératrices d’une prospérité jusqu’alors inégalée. Les plaines marécageuses de la Durance et du Rhône ont vu surgir de riches cultures maraichères dont les produits se répartissent dans tout le pays. […]
Et pourtant, il n’est pas de village en France qui soit plus fidèle à ses traditions que Barbentane-en-Provence : charrette de l’agneau de Noël, feux de la Saint-Jean allumés en grande pompe, cortèges fleuris de la Saint-Éloi, jeux de boules, tauromachie et surtout farandoles, des farandoles qui sont parmi les plus belles de Provence. »
C’est probablement cette dualité – modernité et traditions – qui avait poussé Georges Henri Rivière à choisir Barbentane pour représenter la France rurale lors de l’exposition universelle de New York, en 1939, la World’s fair, qui avait pour thème « le monde de demain ».
Dans une lettre datée du 21 décembre 1938, GHR écrivait aux responsables des deux associations de farandole barbentanaises :
« Avec vous deux et toute la population du pays, nous aboutirons à une réalisation magnifique, digne de notre pays, de la Provence et de Barbentane, ambassadrice à New York de 40.000 villages français. ».
Une belle endormie qui se réveille
Barbentane a également la chance d’avoir été amplement préservée.
Miraculeusement ? Elle a en tout cas largement échappé à la bétonisation d’une urbanisation débridée et à l’aliénation d’un tourisme de masse.
Elle a traversé une période d’environ un demi-siècle, un peu comme assoupie. Elle le doit sans doute à la nature, aux réglementations protectrices de l’État et au bien-être de ses habitants qui ne ressentaient aucun besoin de changement.
Les risques d’inondations qui ont, par le passé, été à l’origine de l’exceptionnelle fertilité des terres, les préservent aujourd’hui du bétonnage, au bénéfice d’une agriculture nourricière et de qualité, qui devient de plus en plus précieuse.
Après une période de déprise qui a fait craindre sa disparition, une nouvelle génération d’agriculteurs, très sensibles à l’environnement et à la préservation des sols, est en train de prendre progressivement le relais.
Les risques d’incendie, de leur côté, préservent la Montagnette, exceptionnel poumon vert dans une région très peuplée, mais aussi terroir potentiel pour des cultures méditerranéennes à haute valeur ajoutée.
Dans ce cadre, les possibilités d’urbanisation à Barbentane sont des plus réduite, freinant le développement démographique, mais préservant l’environnement, le patrimoine et la qualité de la vie. Barbentane a acquis de nos jours un grand pouvoir d’attractivité et ses visiteurs soulignent, outre sa beauté et sa richesse patrimoniale, son exceptionnelle authenticité.
Tous ces éléments en font un terroir rare.
La période de relative léthargie ne devait toutefois se prolonger. Le monde a beaucoup changé depuis les Trente Glorieuses qui furent, ici aussi, une période de large prospérité.
L’économie locale, qui s’appuyait principalement sur l’agriculture dite conventionnelle et l’artisanat lié, était en perte de vitesse.
Comme partout ailleurs, la plupart des commerces en centre ancien ont disparu.
Des néo-Barbentanais sont venus, petit à petit, compenser le départ des jeunes Barbentanais de souche. L’intégration se faisait progressivement, mais les deux populations restaient néanmoins juxtaposées. Ainsi, Barbentane semblait condamnée à un devenir de village dortoir.
Une nouvelle période vient de s’ouvrir au hasard d’une élection municipale imprévue.
À une époque où l’on est plus sensible au patrimoine, à la préservation de l’environnement pour les générations futures, à la qualité de sa nourriture, où l’on est plus à même de bien évaluer ses richesses, ses potentiels, mais aussi ses contraintes, il était sans doute l’heure d’initier une politique volontariste, pour à la fois préserver et valoriser de manière avisée cette terre de contrastes et de rareté.
Louis Colombani, 5-7 mars 2019 (texte écrit pour le service de presse à l’occasion de l’étape du Paris-Nice et non utilisé)
[1] Les facétieux préfèrent évoquer les cornards
[2] Étudiées et mises en valeur par l’historien Denis Martin