Anaphore a ses bureaux à Barbentane, commune des Bouches-du-Rhône tout proche d’Avignon. Barbentane a son histoire (comme la plupart des communes) et dispose d’archives très riches, aussi bien en mairie que dans les caves ou greniers de certains habitants. Elle a aussi la chance d’avoir enfanté des chroniqueurs qui ont, dans un passé plus ou moins récent, écrit sur son histoire. Elle a l’immense chance de bénéficier aujourd’hui d’un trio extrêmement actif au service de son patrimoine et de son histoire.

Légende des photos :
Enregistrement de Denis par Nora et Arie.
Photo de Joël Lebeschu.Guy et Joël absorbés par leur conversation.

Guy est natif de Barbentane. Il est le guide de la commune qu’il fait visiter avec sa passion et son éloquence provençale. Enfant du pays, il a accès à tous les greniers (malgré ses opinions politiques tranchées et non majoritaires) et est, entre autres, un dénicheur d’archives.
Joël, qui se présente comme ancien employé de bureau de l’administration, a choisi Barbentane pour y vivre sa retraite. Il s’est intéressé à l’histoire de sa maison d’adoption, l’ancienne cure du village, que la légende dit d’origine templière. Il pratiquait déjà la généalogie avant de s’installer à Barbentane et, depuis, il est devenu une véritable base de données sur les familles barbentanaises. Il tient d’ailleurs une permanence généalogique mensuelle en mairie.
Denis s’est découvert des origines barbentanaises en commençant sa généalogie. De généalogiste, il est devenu historien de Barbentane et de quelques-unes de ses familles. Il a consulté un grand nombre de ressources archivistiques, a su les analyser les mettre en relation avec le contexte historique national et au-delà.

C’est Denis que nous voudrions présenter ici, tant sa démarche, de la généalogie à l’histoire, nous a paru exemplaire, bien au-delà du cadre local. Laissons-lui donc la parole pour une petite synthèse.

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Pour donner un aperçu du travail de Denis, nous reproduisons ci-dessous, avec son autorisation, la préface de son ouvrage Chronique communale de Barbentane : Révolution et XIXe siècle. Édité par l’auteur, 2007. 307 p. L’ouvrage est épuisé, mais il est envisagé, à terme, une réédition en ligne sur le site du trio Denis-Joël-Guy dédié à la commune de Barbentane.

Dans l’introduction de la « Chronique communale de Barbentane au XVIIIe siècle », je soulignais les aspects figés de la société de cette époque. Alors que ce siècle semblait aller vers son terme, dans la décennie des années 80, donc peu avant la Révolution, bien peu de choses avaient en apparence changé. La « sphère » barbentanaise paraissait presque aussi fermée : une vie rurale, artisanale, autarcique, des activités et des moyens presque parfaitement reconduits de génération en génération, des classes sociales cloisonnées, une église toujours respectée, voire crainte, dont les rites imprègnent le quotidien, assemblent le peuple et aident à supporter la rigueur des temps. La population est stable avec très peu d’apports extérieurs, les institutions communales, même si leurs mécanismes se grippent parfois, restent immuables.
Les liens de la communauté avec l’extérieur sont ténus : le bac sur la Durance permet le colportage des marchandises et des rumeurs, la foire de Beaucaire est une des rares occasions de rencontres. On ne recherche guère les contacts avec les communes voisines car ils sont autant d’occasions de frictions. Une ou deux fois l’an, on se bouscule auprès de l’estafette claironnante surgissant au galop pour annoncer une lointaine victoire du Roi dans une guerre qui laisse indifférent mais dont on apprécie sans retenue les libations qu’elle occasionne ! Les autres fêtes, entre Barbentanais, sont le remède efficace à tous les maux. Le courrier annuel émanant de l’Intendant d’Aix en Provence fixant le montant très changeant de l’imposition est le lien puissant et redoutable qui rappelle l’existence d’une autorité rigoureuse et coûteuse ! Quelques tirages au sort rappellent aussi que le Roi a besoin de soldats, mais les nombres en cause ne touchent pas en profondeur la population et les hommes en reviennent le plus souvent !
Si Barbentane est repliée sur elle-même elle n’en est pas pour autant à l’abri, bien au contraire, des événements naturels qui la traumatisent périodiquement et la trouvent toujours aussi désarmée : les hivers d’épouvante, les inondations ravageuses, les sécheresses. Avec courage, avec fatalisme, les Barbentanais font face.
Et cependant, la société a bougé, mais imperceptiblement, et il faut le recul du temps pour bien le percevoir. En 1789, la noblesse est sur la défensive, la bourgeoisie traditionnelle entend les échos du « siècle des lumières », une bourgeoisie marchande se fait remuante, la paroisse voit ses soutiens s’affaiblir. Après la liesse et le consensus de 1789, les chocs et chocs en retour, que la Révolution va engendrer, vont traumatiser les Barbentanais, briser leurs cadres de référence, les intégrer définitivement au monde extérieur. Habitués à régler leurs problèmes entre eux, les voilà désormais immergés dans les turbulences nationales. On attend les informations et les ordres de Tarascon, d’Avignon, de Marseille, de Paris… Qu’ils le veuillent ou non, ils sont sans cesse sous tension et impliqués, parfois dépassés. Les deux grands maires de la Révolution, Pierre Fontaine et Joseph Malosse, chacun dans son registre, ont joué, dangereusement pour eux-mêmes, une certaine modération, sans pouvoir éviter le pire et, au beau milieu, par épisode, le général Puget vint ajouter sa note jacobine bien paradoxale.
Les séquelles de la Révolution seront profondes, des fossés se sont creusés, il faudra du temps pour effacer les volontés de vengeance, puis contenir les excès des partis issus de ce temps et qui ne savent qu’en découdre durement, à savoir les monarchistes, les bonapartistes et les républicains entre eux, les conservateurs contre les libéraux, les catholiques contre les anticléricaux, l’école publique contre l’école des religieux… Les Barbentanais ne seront jamais plus complètement eux-mêmes comme autrefois.
Une fois l’Empire passé, quatre maires surtout vont bien incarner l’incroyable évolution du XIXe siècle qui sera politique, mais aussi « technique » avec l’irruption du pont routier sur la Durance, du chemin de fer, du télégraphe, de l’eau courante, de l’électricité, de l’éclairage public…
Au point de départ, Jean-Antoine de Chabert, royaliste ardent, fut une belle incarnation de la Restauration et du retour manqué à l’Ancien Régime. Puis Étienne-Léon de Robin, royaliste séduit par le modernisme et par les promesses de Napoléon III. Puis Henri Mourret, républicain turbulent et anticlérical, animé d’une volonté farouche qui le rendit parfois peu regardant sur les moyens à mettre en œuvre. Enfin Pierre Terray, bien qu’élevé dans un cléricalisme intransigeant, il eut le mérite de découvrir et de proclamer les vertus du dialogue au sein d’une municipalité et de prôner l’innovante nécessité… d’avoir une opposition ! Il tint ainsi, en fin de siècle, un discours fondateur qui n’eut pas l’écho qu’il espérait, ni chez ses adversaires, ni chez ses amis. Qu’importe, la vie démocratique communale, non sans quelques heurts encore à venir, était en route. Il faudra encore attendre la première moitié du XXe siècle pour qu’elle s’apaise enfin.
Ronsard écrivit un jour de je ne sais quel personnage : « La tête près du bonnet, et le bonnet souvent de travers ». Il ne pensait certes pas aux Barbentanais. Mais il aurait pu !

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