Le constat n’est plus à faire, la mise en ligne « des archives » est devenu un impératif professionnel de première urgence.
Mais pourquoi donc cette urgence ?

  •   une forte pression « sociétale » réclame de pouvoir disposer d’informations à satiété sur l’histoire personnelle des individus, en même temps qu’elle refuse de considérer désormais l’existence ou la validité de ce qui n’est pas en ligne, et interpelle les pouvoirs publics pour accélérer cette nouvelle « sociabilité du bout des doigts »…
  •   les gouvernements s’en mêlent en prônant le tout numérique et la diffusion des informations publiques sur les réseaux, pour l’accessibilité citoyenne au patrimoine.

En écho à cette exigence sociale, les services publics d’archives, à l’instar d’ailleurs des autres institutions patrimoniales, ont donc entrepris des démarches variées de mise en ligne, devenue véritable objet stratégique dans leur politique.
L’archiviste doit désormais concevoir la mise en ligne non comme un « extra », mais comme une dimension actuelle de son métier, en liens étroits avec toutes ses missions de collecte, de classement, de conservation, de communication et de valorisation.
C’est même l’occasion pour lui de revenir sur le cœur de sa compétence ; l’archiviste doit s’emparer des nouvelles technologies de communication, et les utiliser pour développer les principes et gestes fondamentaux de l’archivistique, avec toutes leurs exigences scientifiques ; ainsi il affirmera sur le Web à la fois l’identité des archives comme matériau unique, proche mais différent de celui des bibliothèques ou des centres de documentation, et l’identité de son métier d’archiviste : il n’est pas un pourvoyeur d’informations tout à fait comme les autres, mais il a pour spécialité de décrire les fonds afin de les mettre à disposition de façon durable.

Que mettent en ligne les archivistes ?

Des images et des contenus

Dans un monde où l’œil est roi, on trouve énormément d’images sur les sites d’archives :

  •   documents offerts à la consultation : ce sont par exemple les collections de sources d’histoire des familles ;
  •   documents figurés donnés à voir, pièces d’archives comme plans de bâtiments, de territoires et de villes, à l’instar de cette représentation de la tour Anglica de Barbentane dans un recueil de comptes de l’évêché d’Avignon de 1363-1366  Tour Anglica de Barbentane – AD84, 1G9 ou collections iconographiques comme cartes postales et photographies ;
  •   « trésors » d’archives, pièces exceptionnelles, comme ces deux épisodes de la chanson de Roland en provençal trouvés en tête d’un registre de notaire d’Apt du XIVe siècle
    Épisodes de la chanson de Roland en provençal – AD84, 3E4/1132
    ou symboliques par leur historicité ou leur beauté. Miniature du terrier d’Anglic Grimoard, 1366 - AD84, 1G10

L’accès à ces images est multiforme : bases de données pour les grandes séries, expositions virtuelles, « galeries » de documents, dossiers pédagogiques…
On trouve également beaucoup de contenus de séries homogènes de documents primaires, dépouillés et mis à disposition généralement sous forme de bases de données interrogeables, nominatives ou géographiques : matricules militaires des soldats de la guerre de 14-18, dossiers d’immigrants sur le site des Archives nationales d’Australie, liste d’arrivants aux États-Unis sur Ellis Island Online, avec souvent des liens vers des images, de dossiers, de bateaux, de photographies personnelles ou de groupes…
Cette politique répond à une demande très forte, d’ancrage dans la société, de recherche de racines, d’histoire personnelle et familiale, de repères locaux, d’identité en somme, à laquelle l’archiviste se soustrait très difficilement ; ces dernières années, il était quasi suicidaire en France pour un service départemental de ne pas avoir mis en ligne l’état civil !

Des enjeux stratégiques

En termes d’analyse de son métier, l’archiviste peut se dire à juste titre dans ce type de mise en ligne qu’il assure plusieurs de ses missions : outre la réponse aux besoins des usagers, il apporte une vraie plus-value à son rôle de passeur

  •   en mettant des documents à disposition sur une très grande échelle,
  •   tout en assurant une préservation efficace des originaux ; ces documents seraient sans cela les plus fragilisés de tous, car les plus consultés ;
  •   attirant des publics « captifs », il en profite d’ailleurs pour leur proposer d’autres ressources, moins attendues, qu’ils n’auraient pas découvertes par eux-mêmes.

Par ce biais de sa connaissance inégalée des fonds, de même que par l’ampleur et la diversité des collections qu’il gère et peut mettre en ligne sous forme numérisée, l’archiviste affirme l’essentialité de son rôle face à la demande de masse.

Pour aller plus loin dans la réflexion, on peut toutefois s’interroger sur le niveau archivistique de ces mises en ligne d’images numériques, qui restent souvent très « basiques », tant du point de vue de la description que de l’organisation des documents : les objets présentés sont soit très sériels et répétitifs, sans nécessité d’analyse fine, soit au contraire traités à l’unité comme issus d’une collection.
C’est là que se situent les limites de l’exercice : la quasi obligation de mettre en ligne des quantités considérables de documents sériels, représentant en réalité une infime quantité des fonds conservés, destinée essentiellement à un public très identifié et à un certain type de recherche qualitativement limitée, ne doit pas faire oublier à l’archiviste que la mission où il est irremplaçable n’est pas celle-là : le cœur de son métier, c’est la mise à disposition de tous les publics de l’ensemble des archives qu’il conserve, c’est la présentation des fonds, c’est leur classement et surtout leur description ; la mission et l’expertise de l’archiviste, c’est la constitution des instruments de recherche, seul moyen d’accès véritable à la documentation historique de la recherche. Et c’est dans cette mise en ligne-là que sont les vrais enjeux stratégiques pour les archivistes.

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