A l’heure où la présence des services d’archives sur le Web s’impose de façon impérative, comme je l’ai affirmé dans un texte précédent, la salle des inventaires virtuelle est une occasion idéale pour les archivistes de réaffirmer, en utilisant toutes les ressources offertes par la maîtrise raisonnée des nouvelles technologies, la valeur, l’actualité et la pertinence de leurs compétences scientifiques et de leur rôle de médiateurs, qui rédigent et publient des instruments de recherche en ligne.
Cette action, fondamentale pour diffuser la connaissance des fonds, est loin de vider les salles de lecture, comme on le dit parfois. Bien au contraire, en proposant aux chercheurs des espaces d’orientation en ligne de plus en plus riches, l’archiviste met en branle un mécanisme propre à l’incitation à la venue dans les services d’archives, car l’utopie du « un jour toutes les archives seront en ligne » se démonte d’autant plus aisément que les inventaires des sources disponibles montrent leur importance matérielle et leur diversité.

Publier aujourd’hui ? un archaïsme ou un enjeu ?

Mais, de ce fait, la publication traditionnelle des outils d’accès aux documents reste-t-elle un sujet d’actualité ? Est-il aujourd’hui raisonnable d’investir sur la réalisation de répertoires et catalogues imprimés, quand l’accès aux données connaît un essor si considérable ? Ne serait-il même pas abusif, en termes de temps de travail comme en termes de financement, de concevoir des ouvrages en papier pour reproduire à l’identique ce que tout un chacun trouverait sur le net et pourrait imprimer à loisir ?
J’ai la faiblesse de penser que non…

De la nature des instruments de recherche

Car, de même que la « médiation » personnelle, l’accueil en salle du chercheur par l’archiviste est directe et résout nombre de difficultés, ce que l’approche solitaire de la machine permet difficilement, de même instrument de recherche imprimé et instrument de recherche électronique ne sont pas de nature identique et ne connaissent pas le même usage.
L’un est destiné à servir de référence pérenne, l’autre est modifiable dans sa forme comme dans son contenu ; le premier, destiné à la lecture sereine, est fort de ses annexes longues et complètes (introduction historique, bibliographie exhaustive, sources complémentaires détaillées), le second, destiné à la recherche rapide, va s’enrichir de possibilités de rebonds vers d’autres ressources similaires, parallèles, liées hiérarchiquement ou non ; le document papier se feuillette, se parcourt, donne accès aux documents originaux, le document informatique s’interroge, par mots-clés, par facettes ou par type de données, met en évidence les occurrences des mots et des notions, se copie, se diffuse par morceaux, se réutilise…

 

Investiture de portion du péage à sel de Caderousse, 1127 – Arch. dép. Vaucluse, 2E9/506

Imprimer ? quelle gageure !

Mais à l’aune des restrictions budgétaires et du plein emploi des ressources humaines des services capables de s’atteler à une entreprise telle que la publication d’un inventaire traditionnel, et à l’heure où plus aucun ouvrage qui se veut consulté (ne parlons même pas de vente !) ne peut se dispenser d’une riche illustration en quadrichromie et d’une tenue éditoriale impeccable, imprimer un instrument de recherche est un défi redoutable à relever. Qui ne s’est pas arraché les cheveux en relisant pour la quatrième fois les épreuves d’un répertoire numérique avec cinq ou six niveaux de descriptions, que le graphiste de l’imprimerie n’a pas pu correctement identifier et qui se baladent plus ou moins près des marges de gauche, avec des cotes qui viennent mordre l’espace vital de l’analyse, des dates qui s’alignent ou ne s’alignent plus, une table des matières qui a « mangé » un niveau, un titre « veuf et orphelin » !
L’entreprise est d’autant plus risquée qu’elle ne dispense pas de la mise en ligne elle-même de l’instrument de recherche, pour toutes les raisons évoquées plus haut, mais que jusqu’à présent, il n’existait guère de moyen de publier de façon complètement satisfaisante le même objet de base, sans le retravailler entièrement, sur deux supports aussi différents que le Web et le papier, sauf à faire une simple copie pdf de l’imprimé, ou à rebours une sortie médiocre du document html… le tout sans oublier l’instrument de recherche publié en EAD, cherchable et navigable !

Le choix des archives départementales de Vaucluse

Car l’objectif que nous nous sommes fixé aux archives départementales de Vaucluse est celui de produire désormais inventaires et répertoires exclusivement à partir d’Arkhéïa Aide au classement, et de ne mettre en ligne que des fichiers EAD issus des bases générées pour la gestion des descriptions d’archives – même si aujourd’hui la perspective du Web sémantique nous séduit complètement pour la mise en ligne des données.
Mais l’EAD, même transformé à la volée en pages html, n’a rien de très sexy, on en conviendra !
Et lorsqu’un aussi beau fonds que le fonds du duché de Caderousse parvient au terme de son classement, qu’il a fait l’objet d’une telle précision dans ses analyses qu’elles en deviennent articles d’inventaire « à l’ancienne » malgré leurs balises contemporaines rigoureusement normalisées, eh bien tout archiviste normalement constitué a envie qu’il soit valorisé par une publication de qualité et que celle-ci arrive entre les mains de ceux qui sauront apprécier sa richesse et venir exploiter ses ressources.

Plan géométral des terres et îles de M. et Mme de Gramont, an XII – Arch. dép. Vaucluse, 2E9/319

Objectif Caderousse : demander la lune ?

Alors l’objectif pour Caderousse est devenu simple, et compliqué à la fois : il fallait obtenir, à partir d’un outil unique de description conçu dans Arkhéïa Aide au classement, selon la charte de réalisation du corpus des instruments de recherche en ligne du site des archives départementales de Vaucluse :

  •   une publication sur ce site, par l’intermédiaire de Pleade, de l’inventaire encodé en EAD ;
  •   une édition traditionnelle soignée, imprimée et diffusée gratuitement auprès d’un nombre important d’institutions françaises et étrangères, universités et centres de recherche spécialisés comme bibliothèques d’études en sus du réseau « réglementaire » français de distribution des instruments de recherche ;
  •   une possible impression à l’identique à partir d’une imprimante standard ;
  •   et, pour faire simple, l’exemple d’autres départements comme le Tarn aidant, une version Web / html élégante et téléchargeable sur le site des AD.

Le tout avec des caractéristiques propres à chaque publication, sans qu’il soit besoin de reprendre chacune d’entre elles individuellement en cas de modification des contenus, cela va sans dire.

Une nouvelle révolution arkhéïenne ?

D’aucuns (lui le premier, mais il s’en repent !) ont prétendu qu’à une certaine époque, le concepteur d’Arkhéïa s’était mis en tête que l’édition papier des inventaires n’avait plus d’avenir et que seul l’instrument de recherche électronique normalisé sauverait l’archivistique, la vraie, contre les assauts des techniques documentaires.
J’ai dû arriver dans le monde arkhéïen bien après (sourire) ces errances (re-sourire) ou bien alors n’ai-je jamais voulu les entendre – et j’ai bien agi, j’ai eu raison de faire confiance et de ne pas douter que Louis Colombani comprenait en fait parfaitement l’enjeu de « l’éditorialisation » de nos instruments de recherche : un ouvrage publié est une pièce précieuse dans la construction d’une politique de service tournée vers les publics, et un inventaire d’archives au même titre qu’un catalogue d’exposition du Grand Palais ou que les sommes que représentent les Vocabulaires typologiques de l’Inventaire général.
Aujourd’hui Anaphore a conçu la première partie de l’outil qui nous manquait. Certes l’aventure fut engageante pour les archives de Vaucluse et deux de leurs archivistes, Martine Sainte-Marie bien sûr, et Sophie Izac-Imbert, fraîchement arrivée du Tarn. Mais leurs efforts ont produit leur fruit, et l’inventaire du fonds de Caderousse est sorti des presses depuis quelques semaines, premier-né d’une longue série d’instruments de recherche élégants et lisibles ; depuis janvier 2014, les archivistes du palais des Papes impriment même leurs bordereaux de versement en version éditorialisée !
Et je suis sûre que bien d’autres « issues » d’objets arkhéïens divers et variés pourront être inventées à partir des ressources de la nouvelle version d’Aide au classement, surtout lorsque sera finalisée la production d’un export html lui aussi retravaillé pour une mise en ligne « chic », ce qui ne saurait trop tarder, j’en suis convaincue. Nous avons déjà plein d’idées !

Armoiries de la famille de Gramont, XVIIIe s. – Arch. dép. Vaucluse, 2E9/157

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